INTERVIEW - AU COEUR DU BALLET PRELJOCAJ - NATALIA NAIDICH
Article initialement publié sur le site radio-londres.fr, le 8 février 2017.
La Fresque - Ballet Preljocaj |
Le nouveau ballet contemporain d’Angelin Preljocaj, La Fresque,
est actuellement en tournée dans toute la France. Interview de Natalia
Naidich, répétitrice au Ballet Preljocaj, avant une représentation à la
Comédie de Valence.
Depuis quelques mois, Angelin Preljocaj est au cœur de
l’actualité culturelle, avec la sortie de deux nouvelles créations : d’une
part La Fresque, un ballet contemporain actuellement en tournée, d’autre part
l’adaptation cinématographique de la bande-dessinée de Bastien
Vivès, Polina (sortie en novembre 2016), dont
Preljocaj est le réalisateur.
Ce que l’on connaît moins, ce sont les coulisses de cette
compagnie, au Pavillon noir à Aix-en-Provence. Entre création et répétitions,
la vie d’une pièce chorégraphique passe par des étapes essentielles lors desquelles Angelin
Preljocaj est assisté par de nombreuses personnes. Natalia Naidich, une des répétitrices du Ballet Preljocaj, a répondu à mes questions.
A : Comment se sont passées les 1ères représentations à
Aix-en-Provence ?
NN : Les représentations se sont très bien passées.
Il faut savoir qu’Angelin Preljocaj continue à travailler
sur la pièce après la 1ère représentation. En général, la pièce
n’est pas complétement fini le jour de la 1ère, il y a encore des
petites choses à changer.
Il continue même aujourd’hui à affiner les détails, à
travailler avec les danseurs sur cette pièce, mais on peut dire que la
structure et le rythme de la pièce ne vont pas bouger.
A : Vous m’avez dit qu’Angelin avait déjà changé
certaines choses dans la pièce, est-ce que vous en tant que répétitrice vous
avez déjà ressenti le besoin de faire certaines modifications de votre
côté, ou allez-vous toujours dans le sens d’Angelin ?
NN : Les situations peuvent être très
différentes : il y a des situations où Angelin est là et je l’assiste,
donc mon rôle est de l’aider.
Par exemple on fait un filage, on passe la pièce d’un bout à
l’autre, et il me dit des choses qu’il voudrait changer, ou des corrections
pour les danseurs et je les note. Et à la fin du filage, je lui rappelle ce
qu’il m’a dit, on travaille avec les danseurs dans ce sens-là.
Il y a des pièces qui sont dansées des centaines de fois,
donc c’est normal, il y a des petites choses qui se délavent, des rythmes qui
deviennent un petit peu différent, des habitudes des danseurs à ralentir certaines
choses quand c’est trop rapide, ou des gestes qui deviennent un petit peu moins
précis.
Dans ces situations, les répétitrices sont un peu les
gardiennes de ses chorégraphies : notre travail est de revenir, toujours,
à la demande d’Angelin.
A : Pour vous, quels sont les principaux atouts de La
Fresque ?
NN : Je trouve que c’est une pièce d’une grande
sensibilité.
C’est un petit bijou car c’est une pièce assez courte. Les
pièces d’Angelin dure entre 1h30 et 1h45, cette pièce dure 1h20. Je trouve que
le rythme à l’intérieur de la pièce est très juste, ma sensation c’est qu’on en
sort et qu’on se dit « c’était très court ! » ! Il y a des
tableaux très différents les uns des autres, c’est une pièce très riche.
A : Comment s’organise le travail chorégraphique sur un
ballet comme La Fresque ?
NN : La création de La Fresque était
particulière, car on a commencé à la fin de la saison dernière en juin 2016,
après les danseurs ont eu des tournées, puis on a reprit en septembre. On avait
peu de temps, 4-5 semaines, pour finaliser le ballet. C’était un temps assez
concentré, car en général Angelin prend 3 mois, ou 2 mois, là c’était un petit
peu plus court. Il y a eu d’autres choses entre les temps de création, des
tournées ainsi que les vacances, ça a obligé à être plus efficace, car c’était
plus ramassé dans le temps.
A : Participez-vous à l’écriture chorégraphique avec
Angelin en tant qu’assistante?
NN : Non, c’est un travail qu’il fait avec les
danseurs. Ça peut se passer de différentes façons : Angelin peut créer des
phrases et le matériel chorégraphique, parfois c’est les danseurs qui
improvisent et lui prend ces matériaux pour les travailler.
J’ai un regard extérieur, j’essaie d’apprendre physiquement
les mouvements dans l’espace et la musicalité, pour que mon travail avec les
danseurs soit clair.
Pendant la création, il y a aussi des jours où il n’est pas
là, parce qu’il avait d’autres projets à Paris. Mon travail était de clarifier
ce qu’il a fait, puisque les danseurs peuvent avoir des interprétations
différentes. Il faut donc se mettre d’accord pour que tout le monde fasse la
même chose. Les jours de création où Angelin n’était pas là, je faisais surtout
un travail dans les corps des danseurs, dans l’espace, de manière à clarifier
les choses. Quand il revenait, ça donnait une base pour qu’il continue à
travailler.
Natalia Naidich et moi-même ! (Tous droits réservés) |
A : Est-ce que la chorégraphie d’Angelin évolue
énormément au cours des répétitions, ou reste-t-elle sensiblement la
même ?
NN : Cela dépend des pièces. Pour La Fresque, ce
sont des petits changements, la structure, les tableaux, le rythme, restent effectivement
les mêmes. Parfois ça va être des détails, des détails rythmiques ou dans les
duos, des petits changements dans le rythme des phrases.
Après il y a des pièces qui ont été modifiées, comme, si je
ne me trompe pas, Retour à Berratham : c’est une pièce qui durait
près de 2h à la création et qui fait 1h30 aujourd’hui, donc qui a été
sensiblement modifiée.
Le rythme n’est pas le même, c’est une pièce qui a gagné
énormément.
A : Vous, Natalia Naidich, quels sont vos relations
avec les danseurs d’une part, avec Angelin Preljocaj d’autre part ?
Devez-vous gérer des tensions, avez-vous le rôle d’intermédiaire ?
NN : Je n’ai pas forcément le rôle d’intermédiaire, je
pense que les danseurs ont une relation assez étroite avec Angelin, la
communication est relativement simple entre eux. Angelin est quelqu’un
d’accessible, il n’y a pas de souci à ce niveau-là. Ils ont même des entretiens
personnels, ils parlent avec lui.
Il faut d’avantage gérer les moments de stress, avant la
première par exemple, ou bien des moments où il faut apaiser certaines choses.
A : Pour revenir sur le travail chorégraphique, comme
arrivez-vous, à partir de notes sur papier à transmettre autant d’informations
corporelles aux danseurs ? Vous dansez avec eux ?
NN : Je ne danse pas forcément avec eux, bien qu’ayant
été danseuse j’ai appris les mouvements. Mais je ne danse plus à leur rythme,
je ne pourrais pas faire ce qu’ils font sur scène !
J’apprends donc physiquement les mouvements et j’essaie de
travailler aussi avec mon corps, c’est hyper important. Après il faut savoir
que chaque chorégraphie d’Angelin est écrite en partition chorégraphique, c’est
comme une partition de musique mais on écrit la danse, en relation à l’espace
et aux mouvements.
Comme cette partition chorégraphique bouge un petit peu
puisqu’il y fait des changements, je la corrige. On va avoir cette pièce
écrite, et il faut savoir que Danny Lévêque, la choréologue du ballet, qui est
responsable d’écrire cette partition, va écrire les demandes d’Angelin.
On peut toujours aller voir cette partition, si on a un
doute. Tout est y écrit !
Même si Angelin utilise des mots pour demander une intention
particulière, ça va apparaître aussi. Donc c’est un outil de travail vraiment
important dans la compagnie.
A : Comment se déroule le quotidien au sein de la
compagnie ?
NN : Une journée type dans la compagnie ? Les
danseurs arrivent à 10h30, ils ont 1h30 d’échauffement tous les jours, avec
différents professeurs invités, de danse classique, ou de contemporain. Puis
entre 12h15 et 18h on fait les répétitions, avec 1h au milieu pour manger de
14h à 15h.
Cependant, la vie dans la compagnie est différente selon les
danseurs. Par exemple, le groupe de La Fresque a passé dernièrement plus
de temps à Aix-en-Provence au Pavillon Noir, puisqu’on était dans un moment de
création, alors que l’autre groupe a passé à la rentrée 2 semaines en
Australie, ils sont partis à Séoul, ils sont actuellement à Bangkok. Pour la
prochaine création, c’est les autres danseurs qui vont sûrement plus voyager,
et les autres qui vont rester.
Le rythme est de toute façon très intense, que ce soit pour
les uns ou pour les autres. Au mois de septembre, on a eu un jour de repos par
semaine, et ceux qui sont partis ont travaillé énormément aussi.
A : Pour résumer votre rôle, peut-on dire que vous êtes
le chef d’orchestre qui fait travailler les interprètes sur une partition
d’Angelin Preljocaj ?
NN : Tout à fait ! C’est une très belle façon de
décrire mon travail !
A : Parlons à présent de votre parcours
personnel : comment la danse puis l’écriture chorégraphique sont-elles
entrées dans votre vie ?
NN : A la base j’étais danseuse, je danse depuis que je
suis toute petite.
Je suis Argentine , j’ai donc appris la danse et dansé
là-bas. Après j’ai fait l’école Béjart en Suisse, puis je suis retournée danser
à Buenos Aires en Argentine. J’étais dans un théâtre à Buenos Aires, et le
directeur de la compagnie connaissait une technique d’écriture chorégraphique,
qui n’était évidemment pas connue en Argentine, et il voulait depuis longtemps
que quelqu’un l’apprenne : l’écriture Benesh, à Paris.
Il m’a demandé si ça m’intéresserait d’aller l’apprendre. C’était
très bien pour moi car j’avais une blessure au genou qui m’avait fragilisée à
ce moment-là et j’avais bien envie de repartir. Je suis venue à Paris faire
cette formation de 4 ans, où j’ai appris la notation Benesh. Effectivement j’ai
continué à danser mais à cause de ce problème à genou, j’ai fait une
reconversion. A partir de 2004 je faisais surtout des partitions
chorégraphiques pour différents chorégraphes, français ou étrangers.
Et en 2011, j’ai su qu’Angelin Preljocaj cherchait un
assistant, et comme la partition chorégraphique est un outil très important
dans la compagnie, il voulait que ce soit quelqu’un qui sache lire et écrire la
notation Benesh, en plus de savoir bouger évidemment ! Par exemple, une
des épreuves pour avoir ce poste c’était d’enseigner : ils m’ont donné un
bout de partition, et en 1h j’ai du la lire puis enseigner ce que j’ai lu sur
cette partition que je ne connaissais pas du tout. Il faut donc savoir
transmettre, savoir s’exprimer physiquement aussi. C’est comme ça que je suis
entrée dans la compagnie en tant qu’assistante.
A : C’est la fin de cette interview, merci
beaucoup !
NN : Merci à vous !
Je tiens à remercier le Ballet Preljocaj d’avoir rendu possible cette entrevue, ainsi que Natalia Naidich pour sa disponibilité chaleureuse.
Je tiens à remercier le Ballet Preljocaj d’avoir rendu possible cette entrevue, ainsi que Natalia Naidich pour sa disponibilité chaleureuse.
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