INTERVIEW ANTOINE REINARTZ - 120 BATTEMENTS PAR MINUTE - PARTIE 2


Je vous retrouve aujourd'hui avec la deuxième partie de l'interview d'Antoine Reinartz, qui interprète Thibault dans le film 120 battements par minute de Robin Campillo.
Vous pouvez lire la première partie de l'entretien en cliquant ici !

PARTIE 2

NB: entretien réalisé en septembre 2018 

Nous allons passer à une deuxième partie de l'interview, concernant la prévention du SIDA en 2018. J'aimerais d'abord savoir si vous pensez que le cinéma peut faire changer des choses, peut éveiller les consciences.

Quand même, oui, après on est dans une époque qui est en train de changer énormément. Il y a beaucoup moins de médias hégémoniques alors que dans les années 80-90 et même dans les années 2000 il y avait des médias beaucoup plus hégémoniques. Il y a un éclatement, il y a moins d'argent, beaucoup moins d'argent pour quasiment tout, sauf pour le cinéma qui s'en sort encore à peu près. Mais que ce soit la presse, la musique (qui va un tout petit peu mieux), même la télé commence à souffrir beaucoup, et Internet s'est hyper éclaté. Malgré tout, le cinéma reste porteur de mythologies contemporaines un peu, j'ai l'impression, très très fort. Et donc forcément, à partir de là, il peut agir. Moi j'ai l'impression que quelque part je sais ce qu'est Varsovie parce que j'ai vu Le Pianiste, mais sinon, je saurais pas vraiment ce que c'est. J'ai l'impression que ça change énormément nos représentations.
 
Vous pensez donc que 120bpm a réussi cela aussi sur les jeunes générations ?

J'ai l'impression ! J'ai rencontré des jeunes, notamment en Guadeloupe, et les rencontres étaient assez bluffantes ! Il y a eu un saut de génération et on n'est pas du tout au même endroit de connaissances. Après, c'est justifié, j'avais été à un Congrès et le mot d'ordre c'était: pendant les années 90, on a fait énormément peur à tout le monde. L'idée c'était vraiment de dire protégez-vous tous tous tous, ce qui était bien et nécessaire, on a pas trop changé de discours, sauf qu'en fait c'est faux: aujourd'hui on voit que bien sûr il y a des comportements à risques, mais il y a - je sais pas si j'ai le droit de dire ce que je vais dire - des groupes à risques. Nous n'évoluons plus, aussi parce qu'on n'a pas assez fait évolué le discours et puis à force d'être déconnecté de la réalité on croit moins au discours qui devrait être le plus touchant mais il y a de quoi faire; on a du challenge !

Vous pensez notamment à quels groupes de personnes ?
 
Les groupes les plus touchés c'est clairement les jeunes homos, encore aujourd'hui. C'est vraiment bluffant car la communauté homo a été décimé dans les années 90, donc c'est dingue que la transmission n'ait pas complètement réussi. Les personnes d'origine subsaharienne attrapent le Sida souvent en France, c'est là où il y a aussi un échec, mais comment peut-on faire de la prévention quand l'accueil est aussi incomplet ? C'est pas possible. On va pas aller distribuer des capotes à Calais alors qu'il n'y a rien !

C'est étonnant par exemple en Guadeloupe. Il y a un discours politiquement correct qui est pas du tout celui que j'ai vu dans certaines zones en métropole. On pense beaucoup que les personnes atteintes sont les Haïtiens ou les gens des îles autour, mais il y a un gros déni: je crois que c'est un des départements les plus touchés en France. Il y a un gros challenge là-bas aussi.

C'était important pour vous dès le début de votre carrière ou pendant le casting de 120BPM d'être acteur dans ce film pour porter un message et le transmettre par cet art qu'est le cinéma ?
 
Oui, beaucoup ! Je crois que ça n'aurait pas pu se faire sans. À un moment il y a une rencontre avec un rôle, qui fait qu'on peut être bien car il y a des correspondances. Ça veut pas dire qu'on est le rôle, ça veut pas dire que la fiction rentre dans le réel, pas du tout, mais il faut forcément des correspondances, notamment dans l'engagement. Et en même temps, le producteur et le co-scénariste (du réalisateur Robin Campillo, ndlr) eux ils étaient à Act Up mais ils n'y étaient pas pour faire un film. C'était pas des gens qui font des choses pour pouvoir les mettre sur Insta. Ils font des choses et puis 30 ans après ils se disent qu'ils faut absolument qu'on en fasse un film. Ça devient nécessaire d'en parler ! Ils ont été là-bas car ils ont décidé de s'engager à ce moment-là, c'était impossible de pas le faire.

C'est un film que vous avez qualifié de "blockbuster qui fait du bien", est-ce que pour vous ça semblait obligatoire que pour avoir une portée importante en France sur les jeunes et toute la population ce soit un film qui soit aussi festif et pas seulement tragique (ce qu'il est évidemment dans une 2ème partie du film) ? On se souvient de la lutte joyeuse et très forte, en coup de poing: c'était aussi l'objectif d'Act Up d'être comme ça et le film le reflète extrêmement bien avec beaucoup de vitalité. Est-ce que c'était important pour la portée du film ?
 
Robin a essayé d'écrire des films, avant, sur cette période, sur l'histoire d'un jeune homme séropo, malade, mais il a jamais réussi, il a toujours jeté ses scénarios. C'est vraiment le seul angle qui s'est imposé à lui, il a pas réussi à en parler autrement. Après, certains l'ont fait, comme Collard avec Les Nuits fauves, Philadelphia de Demme c'est un autre angle, Jeanne et le garçon formidable de Ducastel et Martineau, et puis récemment Honoré avec Plaire aimer et courir vite. L'angle que Robin a réussi à avoir c'est celui d'un collectif qui échoue au bout d'un moment car les gens trop malades quittaient cet endroit qui était un endroit de vie pour souffrir avec plus de solitude, même si des gens venaient, car c'était une sorte d'échec de l'association de voir des gens partir sur la fin. Mais pour toucher le plus grand nombre, c'était pas du tout gagné d'avance et c'est une grande chance. Moi ça me fait plaisir, ça me rassure, parfois on se sent hyper loin de sa génération. Mais je suis beaucoup trop impliqué pour dire quelque chose comme ça... donc c'est un peu facile. Mais ce que je veux dire c'est que parfois quand quelque chose marche, quand ça nous a touché, on est aussi heureux de se dire qu'on le partage avec toute une partie de notre génération. À la base ça pourrait être vu comme un film très niche, très auteur, très homo, et ça l'a pas du tout été. Pourtant, il n'a pas pris de grosses têtes d'affiche, à part Adèle (A.Haenel, nldr), qui avait un rôle secondaire, il a fait ce choix-là. IIl a enlevé des petites choses, mais je pense pas dans l'idée d'être plus grand public, mais plutôt parce qu'au fil du scénario il s'est aperçu que ce n'était pas nécessaire. Il n'a pas fait un projet qui se voulait "blockbuster" mais ça l'est devenu. C'est aussi beau qu'il y ait des choses qui ne soient pas dans la recette. J'ai un ami l'autre jour qui me parlait de Titanic et qui était très très enthousiaste, très enflammé, et qui me disait "mais tu te rends pas compte, c'est vraiment le contre-exemple total" parce que c'est un film qui dure plus de 3h donc on peut pas mettre plus de 2 séances à la suite, tout le monde connaît la fin, il y a pleins de trucs comme ça qui ne correspondent pas du tout au schématique du film à succès et qui défont ces codes et ça fait un peu plaisir ! Ça fait du bien contre les discours tout fait sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Lors des actions de prévention qu'on peut organiser actuellement, on se rend compte que ce sont souvent les gens les plus réceptifs à cette cause qui s'y rendent. Le problème se pose toujours de comment amener les gens à se remettre en question. J'aimerais savoir quelles actions pourraient être à votre avis les plus utiles pour des lycéens par exemple ?

C'est là qu'on voit que ça demande beaucoup de courage et de détermination. Souvent les grandes causes ça nous émeut, ça nous chamboule et ça nous donne envie de s'engager. Mais finalement les militants ce qu'ils font c'est long, c'est laborieux, il y a quelque chose de l'ordre du labeur, de la répétition, il faut garder une conviction dans tout ça et ils tiennent plus. Le fait que ce soit les gens les plus alertes qui vont à ces conférences c'est toujours un peu décevant et en même temps ça fait toujours du bien à tout le monde de réactualiser, ça accélère la transmission, et puis faut essayer: on sait pas si ça marchera. Je trouve ça déjà trop bien que ça existe ! 
Après, quel type de prévention en lycée... Quand on l'a projeté à des classes et qu'ensuite on en a parlé, le fait de le voir avec beaucoup de gens et avec sa classe notamment, ça crée des situations extrêmement gênantes ! Il y a une affirmation par rapport à ça qui serait pas la même si on le voit en-dehors du cadre scolaire, et en même temps beaucoup ne le verrait pas. En même temps en lycée je trouve que c'est quand même le meilleur moment parce qu'après bizarrement la société fait que c'est difficile d'avoir accès aux gens. C'est rassurant aussi, dans la vie chacun peut faire ce qu'il veut et aller vers ce qu'il veut, mais c'est vrai que c'est souvent plus difficile. 
Et pour le type de discours... Grosse question, je sais pas. Il y a une question de résultats, donc ça veut dire aller s'adapter à ce qui fonctionnera le mieux, et en même temps on a quand même envie d'avoir une certaine exigence. En ce moment on recule beaucoup devant l'exigence - ça fait un peu nul de dire ça hein. J'ai vu un spectacle sur la révolution française, il y a très peu de temps, de Pommerat, Ça ira, c'est un énorme succès, je l'ai vu après tout le monde, ça fait 2 ans qu'il tourne, c'est un spectacle hyper exigeant. En terme de propos politique, de débat, c'est beaucoup sur la politique, sur la naissance de la démocratie, sur la révolution française. Il n'y a pas beaucoup de petites blagues, de petits à-côtés qui seraient censés nous rattraper et nous faire du bien, mais bizarrement on ne lâche rien. C'était pas ennuyeux à un seul moment. Aussi parce qu'il est très exigeant avec lui-même donc il se remet en question aussi lui. Pour faire une action de prévention la meilleure position c'est d'être le plus exigeant possible et essayer... En tout cas il faut toujours se demander quel est le besoin de la personne qu'on veut aller aider ou informer: c'est vraiment ça la base de toute action associative.


Merci à Marie-Christine Damiens et à Stéphanie qui ont rendu possible cet interview et bien évidemment merci à Antoine Reinartz pour sa disponibilité !

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On se retrouve bientôt pour la troisième et dernière partie de cet entretien ! 
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